V 1 à 8 : accueil du Seigneur et de
Ses messagers par Abraham
« N’oubliez pas l’hospitalité, dit l’auteur de l’épître
aux hébreux ; car, en l’exerçant, quelques-uns ont logé des anges sans le
savoir : Hébreux 13,2. » Il n’est pas
impossible qu’en écrivant ces mots, l’auteur de l’épître aux hébreux ait pensé
à l’épisode qui nous est relaté ici. Rien ne dit, en effet, qu’au départ,
lorsqu’Abraham offrit ses services aux hommes qui se présentaient devant lui,
il ait eu conscience de leur identité. Bien qu’il ait devant lui le Seigneur
Lui-même avec deux de Ses messagers, les yeux d’Abraham ne virent que trois
voyageurs de passage. Ce qu’il fit pour eux, la façon avec laquelle il les
accueillit, n’est pas lié à la conscience qu’il avait de leur importance. Elle
témoigne plutôt de sa part du modèle d’hospitalité que doit être le croyant
envers quiconque passe devant sa porte.
Pour comprendre le zèle que déploie ici Abraham dans l’accueil
qu’il réserve à ses visiteurs, il faut nous souvenir du lieu où nous sommes.
C’est dans une contrée désertique qu’Abraham a dressé sa tente. Nous sommes à
la pleine chaleur du jour, dans les heures où personne ne se hasarde à se
promener dehors. Le soleil est à son zénith et les points d’ombre sont rares.
Le camp d’Abraham est installé près des térébinthes de Mamré, où devait se
trouver un point d’eau. Ne pas accueillir un étranger dans ces circonstances
aurait été une preuve d’inhumanité complète. Abraham, dans son attitude, va
dépasser cependant le stade des simples convenances. Quand il voit les trois
hommes, non seulement il ne reste pas assis à sa place, mais il se lève pour
courir vers eux. Il ne craint qu’une chose : c’est qu’ils passent leur
chemin sans s’arrêter chez lui. Abraham nous enseigne ici que c’est celui qui
refuse l’hospitalité qui, en premier, se prive d’une bénédiction. Le visiteur que
Dieu nous envoie est peut-être l’un de Ses messagers. Il est peut-être porteur,
comme c’est le cas ici, d’un message important pour nous ou d’une bonne
nouvelle.
Arrivé près d’eux, Abraham se prosterne devant eux et réclame
comme une faveur pour lui qu’il s’arrête sous sa tente pour se restaurer et se
reposer. Accueillir, c’est considérer celui que l’on reçoit comme notre hôte,
un hôte auprès duquel on se place comme serviteur. Rien ne met plus mal à
l’aise celui qui est accueilli que de lui faire sentir qu’il nous dérange. Pour
être digne de ce nom, l’hospitalité exercée doit être faite avec le cœur, sans
quoi elle n’a pas de valeur. Ayant obtenu leur accord, Abraham manifeste le
même empressement à préparer tout ce qu’il faut pour ses visiteurs qu’au moment
où il les a vus arriver. Il se précipite auprès de Sara pour lui ordonner de
pétrir de la farine pour faire des galettes et court à l’enclos où se trouve
son bétail pour choisir le veau qu’un serviteur va apprêter pour eux. Puis, le
repas prêt, il reste debout près d’eux pendant qu’eux-mêmes se restaurent.
Si jamais quelqu’un fut honoré par un hôte, ce fut les trois
hommes qui passèrent devant la tente d’Abraham. L’accueil que leur réserva
Abraham ne fut pas celui d’un homme pour des égaux, mais d’un serviteur à
l’égard de princes. Les invités d’Abraham sont aussi des témoins de la façon
dont doit se comporter celui qui est accueilli dans une maison. Honorés, ils se
conduisent en gentleman en répondant avec reconnaissance à ses services.
Abraham ne le sait pas encore, mais il va l’apprendre. Les hommes qui sont
devant lui ne sont pas là pour se restaurer et prendre des forces. Ils sont
porteurs de deux missions qui touchent le patriarche de près !
V 9 à 15 : message à Sara
Puisque c’est par Abraham et Sara que doit s’accomplir la
promesse de Dieu, les messagers tiennent à ce que celle-ci soit aussi impliquée
dans l’affaire. Ils demandent donc à Abraham où se trouve sa femme pour être
sûre qu’elle aussi entende ce qu’ils sont venus dire. Comme Il l’avait déjà
fait pour Abraham précédemment, l’Eternel annonce une nouvelle fois, de manière
à ce que Sara l’entende aussi, que d’ici peu le couple aura un fils. A l’écoute
de cette annonce, Sara fait preuve de la même réaction que son mari. Jugeant de
son état physique et de l’âge d’Abraham, elle affiche un total scepticisme
quant à la réalisation pratique de ce qu’elle entend, et en rit. Bien que
cachée derrière une tenture, sa réaction n’échappe pas aux visiteurs qui
l’interrogent sur la raison de ce rire. Le rire de Sara est humain. Mais
l’affaire dont il est question ici n’a rien d’humain. Elle est du début à la
fin l’œuvre entière de Dieu. Et Sara doit y réfléchir : y a-t-il quelque
chose qui soit étonnant de la part de Dieu ? Pour l’homme qui, pour
évaluer la faisabilité d’une chose, ne compte qu’avec ses moyens, certes, oui.
Quand une chose qui dépasse la limite de ses compétences se produit, il ne peut
s’empêcher de parler de prodige et de miracle. Mais pour Dieu, pour qui le
prodige n’est que l’ordinaire, non ! En donnant un fils à Abraham et Sara
dont les corps sont usés, Dieu ne fait là rien d’extraordinaire. Il fait
simplement ce qu’Il fait chaque jour, ce qui n’est qu’usuel pour Lui.
Reprise pour avoir ri de l’annonce des visiteurs, Sara nie. La
honte de ne pas avoir cru à la capacité de Dieu de faire ce qui semble
impossible à ses yeux se mêle ici à la peur. L’affaire n’ira pas plus loin.
Dieu nous connaît trop pour ne pas s’attendre de notre part à une adhésion et
un enthousiasme immédiat à l’écoute des bonnes nouvelles de Sa Parole. Au lieu
de rire, la réaction de Sara aurait dû être celle du père de l’Evangile venu
auprès de Jésus pour la guérison de son fils tourmenté par le démon :
« Je crois, s’écria-t-il ! Viens au secours de mon incrédulité :
Marc 9,24. » Que Dieu, dans Sa grâce, fasse
grandir notre foi à l’image de celle du centenier de l’Evangile qui a cru,
parce qu’Il a saisi que l’accomplissement de la parole de Jésus ne reposait pas
sur des prétentions, mais sur l’autorité de ce qu’Il était : Matthieu 8,8 à 10. Notre capacité à croire ne dépend
pas de notre force à la mettre en œuvre. Elle est la réponse à la compréhension
que nous avons de qui est Dieu, Celui qui nous appelle à croire en Ses
promesses. Une faible foi est le résultat d’une faible compréhension de qui est
Dieu. Une foi ferme repose sur les certitudes qui, à l’intérieur, sont les
nôtres, au sujet de qui est Dieu. Que, Seigneur, je sois de plus en plus
subjugué par qui Tu es, de manière à ce que ma foi en Toi soit exempte de tout
doute !
V 16 à 33 : intercession d’Abraham
pour Sodome
Si l’Eternel est venu, en compagnie de ses deux messagers,
jusque Abraham, ce n’est pas uniquement dans le but de lui confirmer ce qu’Il
lui avait déjà annoncé, à savoir la naissance prochaine d’un fils issu de Sara.
Une autre pensée l’habite aussi. A cause des cris qui s’élèvent de la ville de
Sodome jusque Lui, l’Eternel veut se rendre sur place pour constater de la
vérité de ce qu’Il entend. Bien entendu, de manière absolue, Dieu n’a aucun
besoin de se déplacer pour savoir ce qui se passe ici où là. Les yeux de
l’Eternel sont en tout lieu, observant les méchants et les bons : Proverbes 15,3. Dieu, en tant que Juge, cependant ne
se prononce pas sur des bruits, mais sur des faits. C’est pourquoi, selon les
lois qu’Il a Lui-même mises en place pour la justice : Nombres 35,30 ; Deutéronome 17,6-7, Il descend
des cieux pour voir de manière à justifier le verdict qu’Il va prononcer.
L’Evangile nous révèle de manière formelle qu’à la fin des
temps, ce n’est pas le Père, mais le Fils qui jugera le monde : Jean 5,22.27. La raison en est stipulée. Contrairement
au Père, le Fils est, par Jésus-Christ, Celui qui est descendu du ciel pour
vivre et marcher parmi nous. En vivant au milieu de nous, Il a pu constater
Lui-même et de visu les dispositions des hommes à l’égard de Dieu. Le séjour du
Fils de Dieu sur terre s’est terminé par Sa mort honteuse à la croix. Le
jugement final de Dieu sur l’humanité qui ne s’est pas repentie de ce crime
sera tout, sauf arbitraire. Il sera fondé sur des faits irrécusables. C’est le
même souci qui conduit Dieu à venir en personne constater la véracité des
accusations qu’Il a entendu contre Sodome avant de se prononcer sur la sentence
à appliquer.
D’où venaient les cris qui se sont élevés si fortement jusqu’à
Dieu au sujet de Sodome ? La réponse ne nous est pas donnée. Mais
l’Ecriture nous a déjà rapporté un témoignage à ce sujet. Alors que Caïn, dans
l’incognito, tua son frère, il dut penser que son crime ne fut ni vu ni connu
de personne. Il se détrompera rapidement. Le cri du sang d’Abel versé sur la
terre s’éleva immédiatement jusqu’à Dieu : Genèse
4,10. Il en est ainsi depuis. Chaque goutte de sang versé sur la terre à
cause de la méchanceté humaine s’élève en témoignage accusateur devant Dieu
contre leurs auteurs. Pouvons-nous imaginer un seul instant le nombre de cris
qui, chaque jour, s’élèvent de notre terre jusqu’à Lui ? Jusqu’à quand la
patience de Dieu se prolongera-t-elle ? Jusqu’à quand le sang du Juste, et
des justes qui L’ont suivi, répandu sans cause, restera-t-il sans être
vengé ? C’est là, nous révèle l’Apocalypse, la prière principale des
martyrs égorgés dont les âmes se trouvent sous l’autel de Dieu dans le
ciel : Apocalypse 6,9-10.
Oui ! Dieu voit, connaît, sait tout ce qui se passe, tous
les crimes, toutes les horreurs qui se font dans ce monde. Maintenant, la
question se pose : que va-t-Il de cette connaissance ? Il y a dans ce
récit deux réponses précises à cette question. La première est que, dans le
cadre de l’alliance qu’Il a établie avec Abraham, Dieu n’estime pas convenable
de ne pas l’informer du danger que court la ville impie dans laquelle vit son
neveu. Sodome n’a d’une certaine façon rien à voir avec Abraham. Mais la
vocation que Dieu a donné à Abraham n’est pas étrangère au sort qui attend
cette ville. Si Dieu a distingué Abraham de tous les autres êtres humains pour
en faire Son partenaire dans l’alliance, c’st pour que, par Lui, toutes les
nations de la terre, y compris les habitants de Sodome, soient bénis par Lui.
Il est donc du devoir de Dieu de révéler à Abraham le sens de Sa démarche
envers la ville impie de manière à ce que celui-ci, en accord avec la vocation
reçue, exerce son rôle d’outil de la bénédiction de Dieu pour elle. Ce rôle,
c’est en premier dans l’intercession qu’Abraham va l’exercer. Etudions la
manière avec laquelle il va s’y prendre à ce sujet.
Conscient de la gravité
de la menace qui pèse sur la ville impie, Abraham ne va pas plaider pour son
salut sans autre. Intercéder devant Dieu pour le salut d’une âme ou d’un
peuple, ce n’est jamais faire fi de la justice de Dieu. Intercéder, ce n’est
pas nier la culpabilité des hommes pour leur péché et plaider pour que Dieu
mette de côté Sa justice pour faire grâce. Au contraire ! Alors qu’il
commence à plaider devant Dieu pour la situation, c’est non la grâce, mais la fidélité
de Dieu à Sa justice qui est l’argument qu’Abraham met en avant en premier pour
qu’Il fasse grâce. Car si l’impie mérite d’être condamné par la justice, il en
est tout autrement de ceux qui sont justes. Le Dieu juste, peut-Il dans un même
lot condamner à la même sentence le juste et l’impie, de sorte qu’il en soit de
l’un comme de l’autre sans distinction ? Lui qui a choisi Abraham, qui l’a
distingué entre tous par pure grâce, peut-Il agir contre ce principe pour les
autres ? Par sa prière, Abraham témoigne que notre élection, si elle est
le fruit de la grâce de Dieu, n’a rien d’arbitraire. Si nous sommes élus par
grâce, c’est pour que nous nous appuyons sur cette faveur pour intercéder pour
les justes qui sont dans ce monde, afin qu’ils n’aient pas part au jugement qui
attend les impies. C’est là la volonté de Dieu et la raison de toutes les
corrections dont nous sommes l’objet dans Son amour : 1 Corinthiens 11,31-32.
Après ce premier argument auquel Dieu consent, toute la prière
d’Abraham se concentre sur le nombre minimal de justes qu’il faudrait dans la
ville pour qu’elle échappe au jugement qui l’attend. Car c’est là tout le péril
dans lequel se trouve Sodome et, à travers elle, le monde dans lequel le péché
fleurit de la même manière. Face aux crimes et aux horreurs du quotidien, Dieu
rend sensible Son peuple à l’intercession pour le salut des justes. Mais Dieu
ne peut laisser impunis à jamais les crimes qui se commettent. C’est là la 2ème
réaction divine inéluctable. Le principe de la grâce pour les justes acquis une
première fois, Abraham, qui sait qui Il a face à lui, s’avance, demande après
demande, sur la pointe des pieds. « Peut-être, dit-il, manquera-t-il 5
justes sur les 50 ? Pour 5 qui manquent, Dieu fera-t-Il périr les 45
autres ? » La demande d’Abraham à Dieu ici et après a une double
motivation. Si Dieu a voulu informer Abraham du sens de Sa démarche, ce ne
peut-être pour un autre but qu’il en soit un partenaire. Or, Dieu a montré qu’Il
était sensible aux arguments développés par Abraham dans son intercession pour
la ville, arguments qui reposaient sur le caractère de Dieu. D’une certaine
façon, Abraham sent que le sort de la ville repose sur sa capacité à reculer
les limites du support de Dieu à son sujet. Jusqu’où Dieu est-Il prêt à
concéder du temps à la ville dans Sa grâce et Sa justice ? Si le cœur d’Abraham
s’émeut à ce point pour le salut des justes, celui de Dieu ne le peut-Il pas,
Lui dont l’amour surpasse largement le sien ? Telles sont les deux pensées
qui habitent Abraham et motivent l’audace dont il fait preuve devant Dieu pour
la ville !