V 1 à 40 : Jacob usurpe la
bénédiction destinée à Esaü
La gloire d’Israël a été de tout temps de se reconnaître comme
le peuple du Dieu de ses pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
N’est-ce pas en effet avec ces hommes que Dieu a fait une alliance, L’engageant
à être leur Dieu et celui de leur postérité à jamais ? On pourrait penser
que le fait pour Dieu de consentir à lier l’honneur de Son nom à ces hommes
trouve sa raison d’être dans le caractère particulièrement digne de ceux-ci.
L’histoire dans laquelle nous entrons et ses suites le démentent de manière
radicale. L’alliance que Dieu a contractée avec Abraham, Isaac et Jacob est une
alliance de grâce. S’il en fallait des preuves, la façon avec laquelle s’est
transmise la bénédiction de Dieu sur Jacob au lieu d’Esaü en est une des plus
fortes.
Tout dans le récit de la manière avec laquelle Jacob reçut la
bénédiction d’Isaac témoigne du caractère sordide et fourbe de la nature
humaine. Si le degré de responsabilité diffère chez chacun, aucun des acteurs
de l’histoire n’échappe à la faute.
1.
Isaac :
Isaac, le premier : qu’avait-il besoin, pour donner sa
bénédiction à Esaü, son fils aîné, d’exiger de lui qu’il lui prépare un plat
fait de gibier comme il l’aimait ? Une bénédiction de Dieu
s’achète-t-elle, se mérite-t-elle ? Sa démarche vaut-elle mieux que celle
d’Esaü qui, pour un plat de lentilles, a vendu son droit d’aînesse à son frère
dans un moment de faiblesse ? Si Isaac n’avait pas cédé à son penchant
pour la bonne chère, jamais ce qui s’est passé ne se serait produit. Esaü
aurait été béni par son père sur le champ. C’est à lui en premier qu’il se doit
d’en vouloir pour la tromperie dont il a été la victime !
2.
Rébecca :
Le péché de Rébecca est celui qui, de loin, paraît le plus
grave dans l’histoire. Non seulement, elle échafaude un plan dans lequel elle
berne son mari, mais elle y fait entrer le fils qu’elle préfère contre son
autre fils. Elle va si loin dans son implication personnelle dans le mensonge
qu’elle accepte de prendre sur elle la malédiction qui ne manquera pas de
tomber sur son fils si la vérité venait à se faire jour avant que le subterfuge
ne fonctionne. Nous verrons par la suite que Rébecca payera au prix fort sa
ruse. En attendant, Rébecca se montre un maître d’œuvre avisé, pensant jusqu’au
moindre détail le plan qu’elle a conçu pour détourner la main bénissante
d’Isaac sur Jacob à la place d’Esaü. Du début à la fin de cette histoire, tout
est péché dans la façon d’agir de Rébecca. Elle trompe son mari à qui elle se
doit d’être soumise. Elle pratique aux dépens de son fils aîné un favoritisme
honteux. Elle agit dans le mensonge et y entraîne avec elle le fils qu’elle dit
aimer, ce qui lui vaudra plus tard un bannissement définitif de sa présence.
Elle s’active du début à la fin dans son projet mauvais. Elle en est à la fois
la conceptrice et la réalisatrice. Elle est prête à en assumer toutes les
conséquences néfastes. La laideur du cœur naturel de Rébecca n’a d’égal que sa
beauté physique.
3.
Jacob :
En tant que confident de sa mère en vue du projet qu’elle a
élaboré, Jacob aurait dû être plein d’indignation. Comment pouvait-il tromper
son père et voler son frère de la sorte ? N’aurait-il pas dû, comme son
fils Joseph plus tard, être rempli de la crainte de Dieu : Genèse 39,9 ? Si Jacob, malgré ses craintes,
adhéra au projet de sa mère, ce n’est dû qu’à une seule chose que Esaü, son
frère, dénoncera à juste titre : sa fourberie : v 36. C’est elle qui, la première fois, l’a poussé à
saisir l’occasion favorable pour voler à son frère son droit d’aînesse. Il l’a
fait alors franchement au vu et au su d’Esaü. Ici, Jacob perd ce scrupule. Il
agit, comme le lui suggère sa mère, par derrière, dans le dos de son frère. Jacob,
de plus, apportera à deux reprises sa propre part de mensonge à la réussite du
stratagème. Alors qu’Isaac s’étonne de voir venir si vite celui qu’il prend
pour Esaü, Jacob justifiera cette rapidité en y impliquant la main même de Dieu
pour cause première de la réussite de sa chasse : v
20. Puis, plus tard, lorsque son père l’interroge à cause du doute que
lui donne la voix qu’il entend et qu’il reconnaît comme celle de Jacob,
celui-ci n’hésite pas à mentir ouvertement : oui, dit-il, il est bien
Esaü : v 24.
On ne se tient pas longtemps sur le seuil de l’entrée de la
fourberie. Bientôt on entre dans la maison et on ferme la porte derrière soi
pour que ce que nous tramons ne soit ni vu ni connu de personne. Il est rare,
quand l’on a commencé à mentir et que le résultat en a été un succès, que l’on
s’arrête en si bon chemin. Donner le petit doigt au mensonge, c’est finir par
lui livrer tout son être. L’effet le plus pervers du mensonge n’est pas encore
la tromperie qu’il représente à l’égard d’autrui. Il est, dans celui qui ment,
l’engrenage dans lequel il se trouve entraîner qui conduit inexorablement à
l’étouffement de la conscience. La
conscience, par les scrupules qu’elle suscite, joue le rôle d’un garde-fou nous
protégeant de nous-mêmes. Le premier but du mensonge, lorsqu’il pénètre dans
l’âme, est de renverser les barrières érigées par la conscience pour arriver à
ses fins. Ce travail de sape du mensonge est particulièrement visible chez
Jacob. Après Esaü, c’est Isaac, son père, que Jacob n’hésite pas à tromper,
jetant par-dessus bord le respect qu’il lui devait. Puis, après Isaac, c’est
Dieu Lui-même, qui est pris comme caution du mensonge de Jacob. On atteint ici
le sommet de la fourberie qui est le sacrilège, la profanation volontaire de la
vérité et de la sainteté du nom de Dieu. Heureusement pour Jacob, Dieu se
montrera plus grand que son cœur. Il faudra cependant un travail en lui qui
durera toute sa vie pour en arracher la plante malfaisante de la duplicité.
4.
Esaü
Pour une fois, il apparaît ici comme la victime totale du
complot ourdi par sa mère et son frère. Quelque part, Esaü paye le choix qu’il
a fait plus jeune de mépriser les avantages spirituels que lui donnait son
droit d’aînesse. Sa repentance et ses larmes tardives ne purent rien y
changer : Hébreux 12,17. On ne se moque pas
de Dieu. Tôt ou tard, chacun de nous moissonne dans sa vie ce qu’il a
semé : Galates 6,7.
Le récit que nous lisons évoque le côté humain de l’histoire,
son recto. Derrière, il y a la main mystérieuse de Dieu qui agit, contrôle et
fait aboutir les choses dans le sens de Son projet. Chaque acteur est
responsable de sa façon d’agir et en sera redevable à Dieu. Dieu a cependant le
pouvoir de tirer du plus grand des maux un bien. Même les machinations des
hommes n’échappent pas au contrôle de Sa souveraineté parfaite. À tout moment,
en effet, le plan conçu par Rébecca aurait pu capoter à sa confusion la plus
totale. Mais Dieu a laissé faire. Mieux, il a contrôlé les circonstances de
manière à ce qu’Isaac ait le temps de manger le repas préparé par Jacob pour le
bénir avant qu’Esaü ne rentre de la chasse et n’apprête son gibier. Ici aussi,
l’homme forme des projets, mais c’est la volonté de Dieu qui se réalise : Proverbes 19,21.
Pensant bénir Esaü, Isaac ouvrit les écluses des cieux pour
que soit déversé sur Jacob tous l’abondance des privilèges dus à la primauté de
la faveur de Dieu. Isaac demanda pour son fils trois bénédictions qui, à elles
seules, recouvraient tout le champ de sa vie et de sa position. La première
touchait au domaine agricole. Isaac demanda pour Jacob qu’il soit au bénéfice
de la rosée du ciel et des ressources de la terre en vue de récoltes abondantes.
La seconde s’appliquait au domaine de sa liberté et de sa souveraineté. Isaac
exprima le vœu que des peuples et des nations lui soient assujettis et se
prosternent devant lui, que Jacob soit mis au large en occupant, par la faveur
de Dieu, une position d’autorité dans le monde. La dernière concernait le
domaine de sa relation avec ses frères, les fils de sa mère (il s’agit ici de
la descendance d’Esaü). Ici aussi, Isaac demanda à Dieu que Jacob occupe une
position de primauté reconnue par ses frères. Isaac ferma la boucle de la
bénédiction en demandant à Dieu ce qu’Il avait Lui-même ordonné pour
Abraham : que celui qui maudisse Jacob soit maudit et que celui qui le
bénit soit béni. Après cela, que pouvait encore recevoir Esaü qui ne touche à
un domaine couvert par la bénédiction de Dieu pour Jacob ?
Face à la détresse d’Esaü, qui se voit spolié pour la seconde
fois par son frère Jacob, Isaac ne peut, en guise de bénédiction, que lui
proposer une issue de secours. Même si elle était destinée à Esaü, il est impossible
à Isaac d’annuler les termes de la bénédiction qu’a reçue Jacob. La bénédiction
est en quelque sorte une entité objective, séparée de celui qui en est le
bénéficiaire. Ce qui a été dit et prononcé au nom de Dieu à Jacob sera pour
Jacob, même si, dans l’esprit d’Isaac, cela était destinée à Esaü. Isaac
confirme donc à Esaü la bénédiction qu’a reçue Jacob, mais il y ajoute une
clause de salut pour lui. Tant qu’Esaü vivra sous la juridiction de Jacob, il
lui sera soumis. Le seul moyen de se libérer de son joug sera pour lui de se
soustraire à cette juridiction en prenant sa liberté pour vivre dans l’errance.
Triste conclusion d’un épisode que Dieu seul sera capable de dénouer pour le
bien de tous !
V 41 à 48 : Départ de Jacob chez son
oncle Laban
Si Rébecca et Jacob sont arrivés par la tromperie à leurs fins
en usurpant la bénédiction destinée à Esaü, ce n’est que maintenant qu’ils vont
récolter le fruit de leur manigance. Certes, Jacob a reçu la meilleure part de
la bénédiction de son père, mais il a aussi fait naître dans le cœur de son
frère une profonde aversion à son égard. Dès lors, Esaü ne cache plus le
dessein qui est dans son cœur. Tant que son père Isaac vit, il ne fera rien à
son frère. Mais Isaac est âgé, il n’en a plus pour longtemps. Dès qu’il mourra,
c’en sera fini de Jacob aussi.
Une fois de plus, c’est à l’initiative de Rébecca que Jacob
devra ce qui va se produire pour lui dans l’avenir. Consciente du caractère
résolu du projet meurtrier d’Esaü, elle va convaincre Isaac de laisser partir
Jacob chez son frère Laban pour se trouver une femme. Le prétexte énoncé est
que Rébecca ne veut pas que Jacob imite son frère Esaü en prenant une épouse
parmi les filles hittites. L’argument fait mouche chez Isaac qui souffre de
cette alliance incongrue de son fils aîné avec ces femmes païennes : Genèse 26,34. Dans l’esprit de Rébecca, cet
éloignement ne sera que pour un court temps. Elle va devoir apprendre ici qu’elle
ne peut tout décider et contrôler et que c’est à Dieu qu’appartient la
souveraineté sur chaque vie.
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